Face à l’urgence climatique, les organismes d’assurances entament une transition financière[1] à géométrie variable. Dans un souci de cohérence, les superviseurs de l’assurance durcissent leurs réglementations, pour faire face aux enjeux de conservation de la stabilité du portefeuille de demain.
Il existe une préoccupation croissante autour de la crise climatique : En janvier 2022, Gan Eurocourtage lance un Plan d’Épargne Retraite (PER) individuel proposant exclusivement des fonds durables, labellisés ISR[2], ESG [3]et Greenfin. Ce fond, qui vise exclusivement les 25-35 ans, témoigne bien de la prise de conscience écologique de cette génération.
Cette préoccupation individuelle est partagée par les organismes d’assurance. Ces derniers ont pris conscience de la crise environnementale, et des nouveaux risques auxquels elle les expose :
- Les risques liés aux catastrophes naturelles :
Comme nous le précisions dans notre article « Superviseurs de l’assurance : quel rôle face au changement climatique ? l’ACPR prend de l’avance avec un exercice innovant », le coût des sinistres de risque physique pourrait être multiplié par 5 ou 6 d’ici 2050, faisant peser un risque d’assurabilité sur certains territoires.
- Les risques liés à la chute de la biodiversité :
L’état de la biodiversité, bien que moins direct, est tout aussi impactant. En effet, la chute de la biodiversité et la destruction des écosystèmes, engendreraient mécaniquement la diminution voire la disparition des services écosystémiques[4]. D’après une étude récente, « 42% de la valeur du portefeuille de titres détenus par les institutions financières françaises a été émise par des entreprises qui dépendent fortement ou très fortement d’au moins un service écosystémique »[5]. Les activités économiques étant en partie dépendantes des services écosystémiques, la disparition de ces derniers engendrerait un risque d’instabilité financière.
Cette prise de conscience est à l’origine d’une transition financière : Dès juillet 2019, l’ACPR publie une recommandation imposant aux organismes d’assurance la mise en place d’une politique « charbon »[6]. Elle est rapidement suivie par tous les organismes d’assurance qui, dès 2020, s’engagent sur une date de sortie définitive du charbon thermique[7], entre 2030 et 2040.
La politique « charbon » est un ensemble de mesures permettant d’exclure les investissements liés au charbon du portefeuille d’action des organismes d’assurance. Pour cela, la majorité des acteurs ont mis en place des critères d’exclusion, c’est-à-dire des seuils à partir desquels une entreprise peut être exclue du portefeuille. Ces seuils peuvent porter sur la production de charbon, la production d’électricité à partir de charbon, mais aussi sur le pourcentage du chiffre d’affaires généré par le charbon.
L’engagement des acteurs de la Place pour sortir du charbon est avéré. Cependant l’impact de cet engagement doit être nuancé car l’exposition du portefeuille des organismes d’assurance aux entreprises du secteur du charbon reste faible (inférieur à 1% des actifs[8]).
Cependant, si ces seuils existent, ils sont peu harmonisés. Les superviseurs de l’assurance préconisent donc :
- De fixer un seuil commun de détention d’actions considérées comme « non durables ».
- De se fonder sur une liste de référence des entreprises du secteur du charbon à l’image de la liste Global Coal Exit List (GCEL) de l’ONG allemande URGEWALD.
- D’adopter une communication plus transparente, et de publier les stratégies détaillées mises en place pour atteindre les objectifs de sortie du charbon.
Se désinvestir du secteur du charbon est crucial mais insuffisant : dans son rapport publié en 2018[9], le GIEC estimait ainsi que, pour maintenir l’augmentation des températures mondiales à 1,5°C, la part du charbon dans la fourniture d’énergie primaire devrait diminuer d’au moins 74% d’ici 2050 par rapport à 2010, celle du pétrole d’au moins 31 %, et celle du gaz naturel d’au moins 56%.
Cette transition financière aujourd’hui incomplète, doit être intensifiée pour permettre l’indispensable transition énergétique sur laquelle s’appuie l’assurabilité du portefeuille de demain : Si la politique « charbon » est un exemple encourageant de mesure pour lutter contre le changement climatique, les politiques liées aux hydrocarbures (pétrole et gaz) restent à l’inverse très peu réglementées.
Sur les 20 principales Sociétés de Gestion Privées, 17 ont mis en place une politique charbon, et pourtant seulement 6 ont une politique relative au pétrole et au gaz. De plus, les politiques mises en place sont très diverses : elles ne couvrent pas toute la chaîne de valeur, ne sont pas fondées sur les mêmes objectifs, ou s’appuient sur des temporalités différentes.
Il convient de préciser d’abord ce qui différencie les hydrocarbures « conventionnels » des hydrocarbures « non conventionnels ». Ils font tous deux référence aux mêmes hydrocarbures (gaz et pétrole) mais ils se distinguent par leur position dans le sous-sol. Les hydrocarbures « non conventionnels » étant plus difficiles d’accès, ils nécessitent des méthodes d’extraction nouvelles et plus complexes.
Le très faible engagement dans le secteur des hydrocarbures, et notamment des hydrocarbures « non conventionnels » s’explique par trois raisons :
- L’absence d’une liste de référence des entreprises du secteur du gaz et du pétrole précisant leurs techniques d’extraction.
- La multiplicité des acteurs.
- L’absence d’une définition commune du terme « hydrocarbure non conventionnel ».
Les superviseurs de l’assurance, conscients de l’importance de la transition financière du secteur assurantiel, en ont fait un sujet prioritaire.
- Face à la nécessité de rendre plus transparent la réglementation relative à la finance verte, le règlement européen SFDR[10] (Sustainable Finance Disclosure Regulation) entrera en vigueur en 2023. Il imposera de nouvelles obligations pour les entreprises, et rendra notamment obligatoire la divulgation auprès de l’investisseur du caractère durable et des impacts du produit proposé.
- Les autorités européennes de supervision des secteurs bancaires (EBA), assurantiels (EIOPA) et financiers (ESMA) ont lancé le 2 mai 2022 une consultation publique[11] à ce sujet. Elle se clôturera le 2 juillet 2022 et permettra d’intégrer les avis des différentes parties prenantes. L’objectif de cette consultation est de définir les indicateurs qui informeront le public dans le cadre de ce règlement. Le même jour, les trois autorités ont publié un avis technique[12] recommandant des modifications au Document d’Information Clé, rendu obligatoire par le règlement PRIIPS. Cet avis visait notamment à introduire une nouvelle section sur le sujet de la soutenabilité.
- Enfin, l’EIOPA a également lancé une consultation[13] le 13 avril 2022, en vue de produire une proposition de lignes directrices à destination des organismes et des distributeurs de produits d’assurance. Ces lignes directrices porteraient sur l’intégration des préférences du client relatives à la soutenabilité dans le processus d’évaluation des besoins prescrit depuis fin 2018 par la Directive européenne sur la Distribution d’Assurance (DDA).
Toutes ces initiatives devraient permettre d’accélérer significativement la transition ; soit directement via l’application des réglementations mises en place par les superviseurs de l’assurance ou l’investissement direct des organismes d’assurance ; soit indirectement via la pression du public, de plus en plus attentif aux critères de soutenabilité.
[1] « Processus par lequel une économie se transforme pour construire des équilibres économiques, sociaux et environnementaux viables à long terme », AFD, janvier 2021
[2] Investissement Socialement Responsable
[3] Critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance
[4] « Utilisation par l’homme des écosystèmes à son avantage » (comme la pollinisation ou la séquestration du carbone), Efese, septembre 2020
[5] Svartzman et al.,2021
[6] Stratégie d’investissement reposant sur la définition de seuils d’investissement selon des critères de part du charbon thermique dans le chiffre d’affaires ou de mix énergétique, novembre 2019, France Assureurs
[7] Il existe deux types de charbon, le charbon thermique, utilisé pour produire de l’électricité, et le charbon métallurgique, utilisé pour produire de l’acier.
[8] Deuxième rapport ACPR/AMF de suivi et d’évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place : Politiques sectorielles et expositions des acteurs aux énergies fossiles, octobre 2021
[9] https://www.ipcc.ch/sr15/chapter/spm/spm-c/spm3b/
[10] https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/banking-and-finance/sustainable-finance/sustainability-related-disclosure-financial-services-sector_fr
[11] https://www.eiopa.europa.eu/media/news/esas-consult-sustainability-disclosures-simple-transparent-and-standardised_en
[12] https://www.eiopa.europa.eu/media/news/esas-recommend-changes-make-priips-key-information-document-more-consumer-friendly_en
[13] https://www.eiopa.europa.eu/media/news/eiopa-consults-draft-guidelines-integrating-customer-sustainability-preferences_en