Du mouvement dans les arrêts (de travail) !

par | 4 novembre 2025 | Actualités métiers

Rappel des faits

Concernant la gestion des arrêts maladies, la cour de cassation a récemment rendu des décisions s’alignant sur celles de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Déjà en 2023, elle avait opéré un revirement de jurisprudence en permettant au salarié de continuer à acquérir des congés, alors même qu’il était en arrêt maladie. Plus récemment dans son arrêt du 10 septembre 2025, la Cour de cassation a rendu une première décision permettant de reporter des congés payés en cas d’arrêt maladie pendant une période de congés, et la seconde visant à prendre en compte les congés payés posés dans le calcul des heures supplémentaires.

Justification de la cour

Pour la Cour, il s’agit de mettre le droit français en conformité avec le droit européen : « l’objectif du congé payé est de permettre aux salariés non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs ». Tandis que le congé de maladie permet aux salariés « de se rétablir d’un problème de santé ». Puisque la maladie l’empêche de se reposer, le salarié placé en arrêt pendant ses congés payés a droit à ce qu’ils soient reportés, justifie la Cour.

Quant aux heures supplémentaires, « un calcul des heures supplémentaires qui ne tient pas compte des jours de congé payé fait perdre au salarié un avantage financier qui peut le dissuader de se reposer », toujours selon la CJUE.

Réaction de la société civile

Dans l’une de ses chroniques pour le magazine l’Express la philosophe Julia de Funes[1], spécialisée du monde de l’entreprise et du management, commente la décision de report des congés en cas de maladie, et y voit un «  basculement culturel ». Elle identifie derrière cette nouvelle mesure juridique des changements de paradigmes profonds « une mutation majeure de notre conception du temps vécu, de l’épreuve de la maladie et du sens même du travail ».

Auparavant être malade en congés, c’était une malchance privée, sans conséquence sociale. Aujourd’hui, les choses s’inversent puisque l’on songe désormais à retrancher les arrêts maladie du temps de congés. Elle en tire plusieurs enseignements et conclu son article en affirmant « Voici donc venu le temps où le privé garde pour lui les beaux jours, et le travail ramasse les restes ».

Réaction des syndicats

Les organisations syndicales saluent ces décisions. « Les salariés ne pourront plus subir une double peine en perdant leurs congés à cause d’une maladie imprévue, pendant leurs vacances », se réjouit la CFDT, reprenant l’argument que « le congé payé a pour but le repos et les loisirs, distinct de la finalité de l’arrêt maladie qui est le rétablissement « .

Mais elles soulignent également que ce revirement « impose à présent une transposition législative pour clarifier la situation et garantir les droits des salariés ».

Réactions des entreprises

Le titre du Journal des entreprises du 11 septembre 2025 [2]  annonce la couleur : «  La possibilité de reporter des congés pendant un arrêt de travail passe mal pour le patronat » . C’est un »signal très préoccupant », écrit Patrick Martin le président du Medef.

Ces évolutions jurisprudentielles soulèvent de nombreuses interrogations pratiqueset risquent d’entraîner des situations complexes et difficiles à gérer pour les entreprises et les directions des ressources humaines, surtout sur le sujet d’intégration des congés dans le calcul des heures supplémentaires dont la mise en place opérationnelle pose encore des problèmes techniques et juridiques. Le patronat demande que les modalités d’application de cette jurisprudence soient précisées et que des garde-fous soient posés, en particulier sur la question d’un éventuel effet rétroactif de la décision de la Cour de cassation. 

Réaction plus virulente du côté des PME et TPE », la CPME jugeant que la décision  est « déconnectée du quotidien des entreprises » et va fortement complexifier la gestion des absences et des droits à congés. Les petites entreprises mettent en avant les impacts financiers mais aussi organisationnels de ces décisions.

Réaction des assureurs

Les assureurs suivent avec attention la situation des arrêts de travail et plusieurs d’entre eux ont mis en place des études et observatoires pour cela. Pour exemple le Groupe APICIL qui publie la 4e édition de son Observatoire des arrêts de travail [3]. Cette étude permet de nous éclairer sur  :

  1. l’évolution du nombre d’arrêts – en 2024, le taux d’absentéisme a atteint 4,41%, contre 4,27% en 2023, soit une progression de 0,14 point.
  2. la structure des arrêts de travail suivant plusieurs critères, La durée, les motifs  de l’arrêt, le lien avec l’âge, les inégalités face à l’absentéisme…

Concernant les récentes décisions de la Cour de cassation, peu de réactions du côté des assureurs, moins directement impactés que les entreprises (sauf bien sûr en  qualité d’employeur) ; en effet que l’arrêt ait lieu pendant une période de congés ne change rien pour l’assureur. La principale question étant pour eux :  est-ce que ces mesures vont participer à une augmentation des arrêts de travail et donc des indemnisations qu’ils seront amenés à payer  ? Rien ne permet de l’affirmer à ce stade. Bien sûr cela pourrait produire des effets d’aubaines (prolonger ses vacances grâce à un arrêt de travail abusif), mais cela restera probablement marginal. Mais nombre d’arrêts de travail pendant les congés méritera d’être finement surveillé dans les prochains mois pour confirmer cette analyse.

Conclusion

Ces mesures viennent à contre-courant de la tendance de recherche de réduction du cout des arrêts de travail, ce qui explique les vives réactions des entreprises.

Une évolution des modalités et outils de contrôles des arrêts de travail est nécessaire pour prendre en compte ce nouveau cas. Par exemple est-il actuellement possible d’identifier ce cas particulier d’arrêt de travail ? Pour l’employeur oui, mais pour la CPAM et l’assureur ?

Pour l’employeur, le surcout lié à une complexité supplémentaire de la gestion des arrêts de travail n’est pas neutre (demandez à vos RH !)  Ne pas oublier que le report des congés payés est subordonné à l’obligation pour le salarié de notifier dans les 48 heures son arrêt maladie à son employeur.

Le sujet des arrêts de travail reste sensible surtout que, comme constaté dans l’observatoire d’APICIL, cela est « … une réalité de plus en plus prégnante : la santé psychologique des Français est fragilisée ». Une équation difficile !

Annexes :

Décisions de la cour de cassation du 10/09/2025

Un salarié tombant malade pendant ses congés peut désormais obtenir le report des jours de congés payés coïncidant avec son arrêt, à condition d’avoir dûment notifié son arrêt de travail à l’employeur (Cour de cassation, 10 septembre 2025, n° 23-22.732). 

Pour les salariés soumis à un décompte hebdomadaire du temps de travail, les jours de congés payés doivent être pris en compte pour déterminer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires (Cour de cassation, 10 septembre 2025, n° 23-14.455).


[1] Congés payés reportés en cas de maladie : les trois leçons d’un basculement culturel, par Julia de Funès. L’EXPRESS.  publié le 22/09/2025.

[2] https://www.lejournaldesentreprises.com/

[3] https://www.groupe-apicil.com/observatoire-arrets-de-travail/