Les organismes d’assurance, à l’image de la société entière, ont su faire preuve d’une très grande capacité de résilience et d’une inhabituelle agilité face aux bouleversements subis en 2020. Sauront-ils se saisir du nouveau dispositif introduit fin 2020, la Résiliation Infra-Annuelle santé, afin de rebattre les cartes en 2021 ?
L’extension d’un dispositif bien connu
La résiliation infra-annuelle, c’est la possibilité offerte au souscripteur ou à l’assuré de ne plus attendre l’échéance annuelle du contrat pour le résilier. Les pouvoirs publics, dans leur volonté de « fluidifier » le marché de l’assurance, ont progressivement étendu cette faculté à divers types de contrats d’assurance tacitement reconductibles. Les contrats individuels automobile et habitation en ont bénéficié en 2014 dans le cadre de la loi Hamon. L’assurance emprunteur continue d’être l’objet d’une âpre bataille, la résiliation ne restant ouverte pour le moment qu’au cours de la première année puis ensuite à chaque échéance annuelle, malgré les multiples tentatives pour élargir son application.
L’assurance complémentaire santé, de son côté, y est éligible depuis le 1er décembre 2020, avec l’entrée en vigueur de la loi 2019-733 du 14 juillet 2019 « relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé ». Elle permet une résiliation sans frais et à tout moment, sous préavis d’un mois après la première année, et non plus uniquement à l’échéance annuelle avec préavis de deux mois.
Un décret d’application restait attendu pour préciser la date d’entrée en vigueur, le périmètre des contrats concernés, et les modalités pratiques de la résiliation.
Un décret sans réelles surprises
La loi indiquait que ce dispositif devait entrer en vigueur à une date précisée par décret et au plus tard le 1er décembre 2020. Sans surprise, le décret paru au Journal Officiel du 25 novembre 2020 entérine l’entrée en vigueur du dispositif au 1er décembre 2020.
De même, l’étendue des contrats concernés est précisée par le décret. L’esprit semble clair : il s’agit de permettre la résiliation de contrats de complémentaire santé, qu’ils comportent ou non des garanties complémentaires (obligatoires ou facultatives) : prévoyance, décès, incapacité, invalidité, protection juridique, responsabilité civile, nuptialité-natalité ou indemnités en cas d’hospitalisation. Néanmoins, la rédaction choisie, ne s’appuyant pas sur des éléments incontestables comme les branches d’agrément des codes concernés ou les catégories habituelles de reporting réglementaire, peut d’un côté ouvrir la voie à des litiges d’assurés mécontents de ne pas pouvoir résilier leurs garanties, et d’un autre côté à la créativité d’acteurs du marché souhaitant à tout prix limiter l’attrition de leur portefeuille.
Enfin, le décret décrit les grandes lignes du dispositif opérationnel à mettre en œuvre.
Premier enjeu : maîtriser les flux en identifiant les causes d’attrition
La loi prévoit deux types de résiliation : la traditionnelle résiliation directe par le souscripteur ou l’assuré, et la résiliation sous mandat par le nouvel organisme d’assurance.
La résiliation directe est facilitée dans son format, la lettre recommandée avec accusé de réception n’étant plus obligatoire dans ce cas. Le souscripteur ou l’assuré peuvent résilier par lettre simple ou tout autre support durable (en pratique, principalement l’email), déclaration au siège social ou chez le représentant de l’organisme d’assurance, acte extrajudiciaire (huissier), ou par le mode de communication à distance utilisé pour la souscription le cas échéant.
Il est également possible de prévoir d’autres modes de résiliation dans les documents contractuels ; on peut par exemple imaginer que certains organismes permettront l’utilisation du téléphone, dans l’optique au mieux d’éviter la résiliation, au pire d’en identifier les raisons et l’éventuel concurrent choisi.
L’un des enjeux majeurs est donc d’arriver à concentrer les flux provenant de diverses sources et supports pour industrialiser le processus, tout en maximisant la collecte d’informations pour dégager les axes d’amélioration de la qualité de service ou des offres.
Deuxième enjeu : savoir saisir l’opportunité pour se développer
Les modalités de résiliation sous mandat sont précisées par le décret d’application. Cette résiliation sécurise l’assuré, en lui garantissant une transition sans heurts : pas de perte de couverture, même temporaire, ni de double couverture signifiant double cotisation. Ce point est crucial pour que les assurés et souscripteurs se saisissent du dispositif.
Un guide pratique de mise en œuvre a été signé par toutes les familles d’organismes d’assurance (FFA, FNMF et CTIP), comme il en existe pour la loi Hamon ; il a pour ambition d’encadrer très concrètement les échanges opérationnels entre organismes. Néanmoins, il n’intègre pas les organisations professionnelles du courtage, ce qui pourrait dans un premier temps générer quelques difficultés.
Ce mécanisme pourrait permettre d’attirer de nouveaux assurés, surtout en santé individuelle. La promesse d’un changement « clé en mains » sous 1 mois à tout moment est évidemment bien plus motivante pour l’assuré que des démarches ardues à coordonner soi-même en respectant un planning contraint.
La « chasse à l’assuré » devrait donc s’ouvrir, mais attention aux promesses non tenues : un assuré ayant changé est beaucoup plus susceptible de changer à nouveau, n’ayant pas encore pu développer d’attachement particulier au nouvel organisme d’assurance et bénéficiant de son expérience du premier changement.
Deux axes devraient donc être approfondis par les organismes d’assurance : le soin de l’entrée en relation et plus largement de la première année de couverture, pour s’assurer que l’intégration se passe au mieux, et le multi-équipement avec notamment des garanties de prévoyance et des services associés, sources potentielles de rétention.
Une évolution du marché à surveiller
2021 s’annonce mouvementée pour les organismes complémentaires santé : le 100% santé est enfin entré pleinement en vigueur, et les équilibres techniques – et donc probablement les futures cotisations – ont été et continueront d’être bouleversés en santé et prévoyance par la crise sanitaire et ses effets économiques et sociaux.
La résiliation infra-annuelle santé arrive donc à une période charnière.
S’il est probable qu’il y ait un certain attentisme au démarrage, la période de crise sanitaire n’incitant pas forcément au changement d’organisme, le dispositif pourrait progressivement monter en puissance par la suite, et accélérer encore les tendances lourdes du marché : multi-équipement et enrichissement des offres et services pour favoriser la rétention, amélioration de la qualité de service notamment via la numérisation, et poursuite du phénomène de concentration des acteurs.